Les mauvaises raisons d’écrire

Si vous suivez un peu le blog, vous aurez remarqué que je ne suis pas très fan des personnes qui veulent à tout prix se lancer dans l’écriture, sans la moindre motivation valable. Je m’explique : on peut avoir une idée, l’envie de faire passer un message, de raconter une histoire, ou tout simplement le besoin de créer, et avoir du mal à s’y mettre. Pas de souci. Mais quand je parle avec certaines personnes, ce que j’entends dans leur désir d’écrire, c’est qu’ils pensent que ça fait bien, que ça en jette. Et là, j’ai envie de crier un grand stop.

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Moi, quand on commence à me sortir des raisons fumeuses de se mettre à écrire.

Franchement, ça m’horripile. Je me permets de mentionner à nouveau l’anecdote dont je vous avais parlé ici : quand j’étais en stage chez un éditeur à compte d’auteur (service communication), une dame avait appelé en se plaignant parce que la maison exigeait un minimum de 40 pages pour publier un ouvrage (ce qui, on ne va pas se mentir, est déjà très court), et elle était partie dans des explications douteuses sur le fait qu’on ne se rendait vraiment pas compte de la difficulté d’écrire, bla bla bla. Donc, grosso modo, la dame avait la flemme de travailler son ouvrage, mais elle voulait quand même le publier.

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Notre réaction à tous, dans les bureaux, après cet appel.

Bon, en soi, ça pourrait juste être une bonne histoire à se raconter à la pause café/thé/tequila si c’était un cas isolé. Sauf que voilà, aujourd’hui tout le monde se pense auteur parce qu’il a griffonné quelques notes sur un post-it/ commencé un journal intime/ écrit une fanfiction sur les One Direction sur son skyblog. Alors si vous avez envie d’écrire, lancez-vous ! Vraiment, j’encouragerai toujours les gens à imaginer et à créer, mais si vous le faites dans le but d’être lu, vous devez savoir que cela demande un travail monumental. Il vous faudra travailler et retravailler vos textes, vérifier la moindre virgule et vous assurer que le scénario est solide. Et encore, vous n’aurez aucune garantie que, malgré tout ce travail, votre texte soit bon ; voire pire, vous devez vous préparer à ce qu’il ne suscite aucun intérêt malgré ses qualités.

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Parce que voilà, la vérité c’est ça.

Du coup je vous ai fait un petit schéma en reprenant la théorie du succès version Iceberg, dont on trouve plusieurs versions sur le net, pour vous le présenter à ma sauce. Vous pouvez écrire, y prendre même beaucoup de plaisir, mais ça ne veut pas dire que votre production mérite nécessairement d’être lue, et le cas échéant, je ne suis pas sûre non plus que ça fasse de vous un auteur (je sais, ça fait des semaines que je dis qu’il faut que je fasse un article sur le statut d’auteur).

Les mauvaises raisons d’écrire :

Bah oui, il faudrait peut-être en venir aux faits maintenant…

  • Pour devenir célèbre

En 2013, 66 530 ouvrages ont été publiés rien qu’en France (304 912 titres aux USA), je vous laisse faire le calcul avant que le vôtre ait une chance de se faire remarquer. Source des données

  • Pour se faire plein d’argent

En moyenne, un contrat d’édition propose 10% de droits d’auteur, dont une partie sera sans doute reversée à l’Etat parce que sinon c’est pas drôle. Comme mentionné dans le point précédent, votre ouvrage aura peu de chance de se faire remarquer, et donc d’être acheté (CQFD), donc vous croyez vraiment que l’appartement secondaire à Saint-Tropez c’est pour maintenant ?

  • Parce que dire qu’on est écrivain, ça claque

Alors oui, généralement quand tu dis « j’ai écris un livre », voire mieux « j’ai publié un livre », tu peux te gargariser en écoutant les gens se pâmer d’admiration et te glorifier. Sauf que voilà, si tu es auto-édité, que le manuscrit dort depuis 8 ans dans un tiroir, ou que tu as payé pour le faire publier, il y a des chances qu’il ne soit pas encore tout à fait présentable et, même si tu as décroché le sacro-saint Graal du contrat à compte d’éditeur, ton texte ne fera jamais (non mais, vraiment, jamais) l’unanimité, et il te faudra donc être prêt à ce que les personnes à qui tu as survendu ton livre soient choquées et déçues en le lisant.

  • Pour séduire l’élu(e) de ton cœur

C’est vrai que les lettres coquines entre Musset et George Sand, c’est quand même un niveau au-dessus du « Wesh madmoizelle, tu m’donnes ton 06 ? » et que, même quand Sand a brisé le cœur de Musset, il a pondu des poèmes qui, personnellement, me font monter une petite larme à l’oeil tellement c’est génial à se taper le cul par terre (oui, comme pour une pizza géante avec les croutes fourrées à la mozzarella, mais là n’est pas le sujet, je m’égare). Non mais, sans blague les filles, nous nos exs nous envoient au mieux un « tu me manques » alcoolisé en sortant du Macumba, le samedi à 4h du mat, et Musset il écrit carrément un recueil, Lettres à George Sand (dont ce poème) qui est juste sublime. Donc si vous êtes doué(e) pour l’écriture et que votre target (alias personne convoitée, pour les moins Djeuns d’entre vous) est sensible à la littérature, foncez. Sauf qu’il y a de grandes chances pour que ça capote. Bah oui, si vous écrivez un roman pour l’impressionner, vous allez passer pas mal de temps seul(e) devant votre clavier, vous n’aurez pas le temps de sortir et donc il vous sera impossible de lui proposer un rendez-vous galant. Puis pour enfoncer le clou, d’ici à ce que votre roman soit édité (si vous avez cette chance), la personne se sera sans doute mariée avec quelqu’un d’autre. Y a plus qu’à espérer qu’un éditeur veuille bien du roman, parce que sinon c’est vraiment les boules.

Et pour conclure je vous renvoie à ce poème de Bukowski, qui est genre le poème que je préfère au monde : So you want to be a writer ? (Alors, vous voulez être écrivain ?). Ce texte exprime juste avec une pureté et une justesse incroyables tout ce que j’ai toujours senti au plus profond de moi et retranscrit à la perfection ma vision de l’écriture.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=ZN1Tw8XM1LY&w=560&h=315]

Soyons clairs : Bukowski ne nie pas la difficulté d’écrire, le fait de s’arracher les cheveux sur la tournure d’une simple phrase, en revanche il remet en cause les motivations douteuses des gens qui écrivent dans l’attente de retours positifs qui flatteront leur égo, et dénonce le fait de se forcer. D’ailleurs, il dit lui même dans le poème « Le rêve parti en fumée », consigné dans Le Ragoût du septuagénaire :

« Je devais découvrir deux choses :

a) la plupart des éditeurs croient que tout ce qui est ennuyeux est profond.

b) qu’il me faudrait des décennies de vie et d’écriture avant d’être capable de coucher sur le papier un phrase qui approche un tant soit peu de ce que je voudrais qu’elle soit. »

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Ma traduction du poème (rien ne sera jamais à la hauteur de la V.O, j’ai fait au mieux) qui n’est qu’une version très arrangée de celle-ci (je n’aimais pas le « N’écrivez pas » qui ôte le côté universel du poème et d’autres détails) :

Alors vous voulez être écrivain ?

Si ça ne jaillit pas de vous comme une explosion
en dépit de tout,
Ne le faites pas.
A moins que cela ne sorte seul de
votre cœur et votre esprit et votre bouche
et vos tripes,
Ne le faites pas.
S’il vous faut vous asseoir des heures
à fixer votre écran d’ordinateur
ou plié en deux sur votre machine à écrire
à chercher les mots,
Ne le faites pas.
Si vous le faites pour l’argent ou la gloire,
Ne le faites pas.
Si vous le faites parce que vous voulez
mettre des femmes dans votre lit,
Ne le faites pas.
S’il vous faut rester assis là
réécrivant encore et encore,
Ne le faites pas.
Si c’est déjà difficile rien que d’y penser,
Ne le faites pas.
Si vous essayez d’écrire comme un autre,
Oubliez.

Si vous devez attendre que cela rugisse hors de vous,
alors attendez patiemment.
Si cela ne rugit jamais hors de vous,
alors faites autre chose.

S’il vous faut d’abord le lire à votre femme
ou votre compagne ou votre compagnon
ou vos parents ou qui que ce soit,
vous n’êtes pas prêt.

Ne soyez pas comme tant d’écrivains,
ne soyez pas comme ces milliers de
gens qui se targuent d’être écrivains,
ne soyez pas lisse et ennuyeux et
prétentieux, ne vous consumez pas d’un amour narcissique.

Les bibliothèques du monde ont
baillé jusqu’à s’assoupir des écrivains
comme ceux-là.
N’en rajoutez pas.
Ne le faites pas.
A moins que cela ne sorte
de votre âme comme une fusée,
à moins que rester muet
ne vous conduise à la folie ou
au suicide ou au meurtre,
Ne le faites pas.
A moins que le soleil en vous
ne vous brûle les tripes,
Ne le faites pas.

Quand ce sera vraiment le moment,
et si vous avez été choisi,
cela se fera
tout seul et cela continuera
jusqu’à votre mort ou jusqu’à ce que cela meure en vous.

il n’y a pas d’autre manière

et il n’y en a jamais eu d’autre.

14 Comments

  1. Nora D

    mai 1, 2017 at 2:54

    Whaou ! Ton article remet les choses en place et le poème est juste magnifique. Vu le nombre de personnes qui se targue d’être écrivain, et vu ce qu’ils nous pondent comme textes insipides. Ce serait presque d’utilité publique lol
    On sent vraiment la différence lorsqu’un texte est écrit avec ses tripes, lorsque la création est « pure » et non cérébrale (je ne sais pas si c’est bien clair ce que je dis là…).
    Sinon j’ai bien ri sur le rapport aux nouveaux amoureux éconduits (sms alcoolisés) et Alfred de Musset…ce n’est vraiment plus la même époque 😀

    1. Pauline Perrier

      mai 1, 2017 at 3:01

      Autant les nouvelles de Bukowski sont assez cash, voire bien crues, la plupart de ses poèmes sont sublimes. Pour celui de l’article, j’ai été renversée, la première fois que je l’ai lu, car c’était comme s’il exprimait directement mes propres pensées.
      Et oui, ce serait presque d’utilité publique de ramener certaines personnes sur Terre… Beaucoup ont les chevilles bien enflées !

      1. Nora D

        mai 1, 2017 at 5:04

        Hihi oui tu m’étonnes !
        Je ne suis pas du tout calée en littérature, mais en général j’aime ce qui est cru et cash, c’est ce qui me va directement aux tripes.
        Je vais me pencher sur le cas Bukowski, merci pour cette belle découverte !

        1. Pauline Perrier

          mai 1, 2017 at 3:07

          Disons qu’il fait partie de ces auteurs qui ont eu une vie bien dissolue. Niveau respect des femmes, il est pas tip top, mais ces textes sont des portraits saisissants de l’Amérique profonde, des gamins des rues, bref faut le lire ahah.

          1. Nora D

            mai 1, 2017 at 3:45

            Oh ok je vois, heureusement que tu me préviens pour les femmes, mais je vais le lire quand même 😀

  2. discoveRin

    mai 2, 2017 at 6:14

    Un très bon article qui remet bien les idées en place !
    Pour ma part, si j’ai envie d’être écrivain, c’est parce que j’adore écrire depuis petite, et surtout, j’adore m’enfuir dans des univers imaginaires qui viennent de ma tête et parfois, plutôt que de les garder pour moi, j’ai envie de les partager avec d’autres, pour qu’on puisse rêver ensemble et encore plus loin.
    Je suis tout à fait d’accord avec toi, et avec Bukowski du coup. Si ça ne vient pas, il faut patienter un peu mais s’il faut se forcer c’est inutile. Il faut avant tout être passionné par ce qu’on écrit ! Et j’estime que quand je me réveille en pleine nuit avec une idée ou une vision d’un passage de mon futur roman, je suis passionnée ahaha.
    Bref il faut que je continue ton livre au passage, je me régale déjà !

    1. Pauline Perrier

      mai 2, 2017 at 6:21

      Ah… Le réveil en pleine nuit qui nous tire du lit pour écrire, je connais ça. Tu as bien raison d’écrire et je te souhaite dy trouver bien du plaisir 🙂
      Je suis ravie que le livre te plaise, j’attends tes retours avec impatience !

      1. discoveRin

        mai 3, 2017 at 7:44

        Merci beaucoup ! Il faudra que je m’y remette dès que possible (à écrire et à lire ton livre), car je suis très frustrée là ! ahah. Je te ferai mes retours avec plaisir 🙂

  3. Rachel

    mai 2, 2017 at 7:25

    Ouiiii, des articles sur l’écriture *pleure de joie*
    Les gens qui créent des trucs, je trouve ça génial. Franchement. Mais je pense que sans bonne motivation, on n’a pas vraiment les outils pour créer quelque chose qui ait une vraie valeur – à nos yeux et / ou aux yeux des autres. Pas pour dire que ça sera nul – ça peut être très réussi techniquement – mais il manquera toujours un truc.
    Par exemple même si Jean-Onche écrit une fanfiction juste parce qu’il aime créer et veut contribuer à un univers déjà existant, j’ai envie de l’encourager : on commence tous quelque part et je préfère mille fois un mec passionné qui vient te demander des conseils pour s’améliorer, qu’un autre qui a envie de se la péter, de surfer sur une tendance pour se faire un nom ou de gagner de l’argent.
    Et c’est pas comme si ça arrivait rarement : par exemple, si on n’avait pas eu Hunger Games (que je n’aime déjà pas à titre personnel), pas sûr que Divergent, La Sélection et tout ce bazar auraient été écrits. Et franchement, la passion… ben on la ressent pas vraiment. SOYEZ PASSIONNÉS PUNAISE !
    (Aaaaah, les fameuses correspondances Musset / Sand ~)

    1. Pauline Perrier

      mai 2, 2017 at 7:45

      Oui je suis tout à fait d’accord, je dirai toujours à quelqu’un qui veut se lancer de le faire s’il en sent le besoin dans ses tripes, ce qui est horripilant, en revanche, ce sont les gens qui cherchent à tout prix à se faire lire sans avoir pris la peine d’achever le travail ou de revenir dessus, parce qu’ils ont un besoin de reconnaissance monstre. Je ne sais pas si je suis très claire dans ma manière de le présenter, mais c’est vraiment ce côté « je suis écrivain » clamé par quelqu’un qui a écrit un chapitre d’une oeuvre sur laquelle il n’est jamais revenu ou qui poste quelques textes en ligne. Je prône le partage sans prétention et qui ne cherche pas à gonfler l’ego 🙂
      Sinon, je suis ravie que tu trouves ton bonheur dans mes petits articles-humeur-conseils, je prends beaucoup de plaisir à les écrire.

  4. ChatBanane

    mai 15, 2017 at 3:00

     » Pour séduire l’élu(e) de ton cœur  » J’imagine qu’en 2017 il y a plus simple pour exprimer à quelqu’un ses sentiments ^^ Après ça reste originale mais légèrement flippant je trouve 😉
    A bientôt,
    ChatBanane

    1. Pauline Perrier

      mai 15, 2017 at 3:06

      Ah ! ah ! Certes, mais dans la boîte où je travaillais ce n’était pas anodin de voir ce genre de motivation dans la présentation de la personne… Après, si c’est bien fait, une jolie déclaration d’amour, pourquoi pas 😉

  5. Lecointre

    janvier 29, 2022 at 12:32

    Cet article est bon et bien écrit. Je suis d’accord sur certaines choses mais pas toutes. On peut écrire pour plusieurs raisons, n’est-ce pas ? Écrire un peu pour soi, un chouille pour le succès, écrire parce que c’est notre passion, notre sang, notre encre, notre vie…. C’est grave? Merfi

    1. paulineperrier

      février 3, 2022 at 7:30

      Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me faire un retour. Bien sûr que ce n’est pas grave ! Au contraire, je pense même qu’écrire d’abord pour soi, parce qu’on a ce besoin irrépressible, est sans doute la meilleure façon d’écrire un bon roman car il sera sincère et authentique. Et bien sûr qu’on a le droit de rêver de connaître le succès (je suis la première à être émerveillée de tout ce qui commence à m’arriver !), mais je voulais surtout mettre en lumière le danger d’un aspect que je vois assez souvent, qui est « j’écris parce que ça fait bien », ça permet de se faire mousser, mais derrière les personnes ne prennent pas vraiment la mesure des efforts que cela demande d’être publié et peuvent se montrer désagréables envers les éditeurs. Après, ce n’est qu’un biais très personnel 😉

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