« De toute façon, toi, t’es un chamallow »
– Ah ouais ? Moi je suis un chamallow ? Moi je ne fais peur à personne ?
– Ben… Non, Pauline. Tu n’effraies vraiment personne.
-Ok, alors laisse-moi te raconter le jour où j’ai – presque – écopé de ma première heure de colle ! Tu vas voir si je suis pas une thug, une femme dangereuse et badass, moi ! Je sais me tirer de toutes les situations !
« C’était il y a dix ou onze ans, lors de ces sombres années répertoriées dans la section « collège » de mon existence. De celles où nous portions tous une mèche en biais sur le visage, où nous mettions des slims à carreaux avec des gilets étoilés, où nous nous vernissions les doigts en couleurs fluos et où les converses et Tokyo Hotel connaissaient un succès planétaire.
J’étais scolarisée au collège de La Gariguette. Un nom bien doux pour un établissement aux mille dangers, du genre préfabriqués-fournaise qui aggravent l’excès de sébum des pubères, profs qui écorchent votre prénom avec un sourire machiavélique et marches glissantes pour tuer les élèves (un jour, j’ai vu le père d’un ami dégringoler devant toute la cour de récré, c’est pas des blagues). Bref, le ter-ter, la zone, le hunger games version collège, l’enfer, le vrai. Il fallait déjà être téméraire pour survivre aux quatre années infligées dans ces lieux.
Je traversais le préau flanquée de deux acolytes aux franges rebelles quand, soudain, j’ai remarqué que mon lacet était défait. Encore un piège de ce satané collège ! Nous nous apprêtions à filer dans les couloirs pour assister à un terrible cours de SVT (qui sait quelle torture nous attendait ? La dissection d’un asticot ? Le visionnage d’une vidéo d’accouchement ? La présentation EN LIVE d’un placenta conservé par la prof après son accouchement ?) mais je me suis arrêtée devant la salle de permanence pour prévenir tout accident en réalisant un double nœud très serré. Il y avait une surveillante devant la porte de cette salle – le donjon de tous les collèges, la pièce la plus redoutée par les internes interdits de sortie pendant une heure de trou, la camisole de tous les malheureux punis – et nous ne l’avions pas plus remarquée qu’un grain de semoule dans un couscous, toutes occupées que nous étions à bavasser. Je t’épargne le sujet de nos discussions : c’est pas que je ne m’en souviens plus, mais on parlait probablement d’évènements palpitants et top-secrets que nos petites personnes de douze ou treize ans, toutes braves et vaillantes que nous étions, avions surmontées.
Alors que nous nous remettions en marche en direction des escaliers, une voix autoritaire s’est manifestée dans notre dos :
– Mesdemoiselles ! Votre carnet, tout de suite.
Stupéfaite, j’ai fait volteface et j’ai balayé le préau des yeux à la recherche des personnes interpellées. Pas un chat. La surveillante nous fixait, les bras croisés sur la poitrine, prête à nous infliger le supplice de la détention. Mais je ne me suis pas démontée et, en ma qualité de grande justicière inébranlable, j’ai bafouillé :
– Heu… Mais pourquoi, madame ?
Le petit cerbère blond a affiché une moue décontenancée par cette répartie féroce et a décroisé ses bras pour poser les mains sur les hanches :
– Non mais vous vous fichez de moi ? Ça fait cinq minutes que je vous parle et que je vous demande d’entrer dans la salle avec les autres élèves, et vous m’ignorez complètement !
Il faut avouer que c’était plutôt un cerbère de type bichon et que sa voix ne portait pas beaucoup. Nos discussions d’adolescentes nous avaient tellement absorbées que nous n’avions pas prêté la moindre attention à ses aboiements. Nous avons alors tenté de négocier notre punition mais la surveillante n’en démordait pas. J’imaginais déjà ramener ma première heure de colle à la maison, ma toute première punition, et la double peine qui en découlerait très probablement. Parce que les punitions du collège, c’était de la gneugneute face à celles qui te guettent chez les Perrier. Quand je te dis que je ne suis pas une guimauve, c’est que j’ai été élevée à la dure, moi ! Et toutes ces pensées ont commencé à me submerger, la panique m’a prise à la gorge et mes yeux ont commencé à me piquer sévèrement.
Tandis que la surveillante continuait ses remontrances, moi, je n’avais qu’une pensée en tête. Comment lui faire un ippon et fuir tel un ninja ? Quels arguments imparables sortir ? Que nenni ! C’était plutôt… « Ne pleure pas » « Ne pleure pas devant tes copines, tu vas te taper la honte, il en sera fini de toi, tu deviendras une victime et tu passeras le restant de ta vie à écrire des romans pour extérioriser ce trauma ».
Mais mes joues chauffaient et mes yeux brûlaient et, je n’avais pas de miroir pour m’en assurer, mais mon visage prenait probablement une teinte cramoisie tandis que je sortais mon carnet de correspondance de mon sac à dos noir et rose. Et au moment de le tendre, splash ! Les vannes se sont ouvertes et j’ai fondu en larmes, ce qui a créé un malaise instantané entre les trois autres protagonistes. Mais le bon gros malaise, tu sais ? Un de ceux où tout le monde se regarde d’un air gêné en dansant d’un pied sur l’autre sans trop savoir quoi faire. Les traits de la surveillante se sont détendus et elle ne savait plus du tout où se mettre.
-Non mais… Ne pleure pas, c’est pas grave… Vraiment…, a-t-elle bredouillé en se penchant vers moi comme devant un élève de maternelle.
Bah ouais, vous en voyez souvent, vous, des ados qui chialent quand on leur demande un carnet au lieu de vous envoyer plus de punchlines que Nekfeu dans un rap contenders ? (pardon à tous mes lecteurs de plus de 35 ans, je sais que là, je vous ai perdus).
-Bon allez, ça ira pour cette fois, mais ne trainez plus devant la permanence quand vous n’y allez pas et filez directement en cours.
Nos trois voix à l’unisson ont répondu un « Oui madame ! » soulagé puis nous avons couru vers les escaliers.
-Wah bien joué le coup des larmes ! s’est extasiée l’une de mes acolytes dont j’ai oublié le nom.
-Grave, trop bonne idée ! J’aimerais trop savoir pleurer sur commande moi aussi, a renchéri l’autre dont j’ai aussi oublié le nom.
-Ouais, ouais, je l’ai grave fait exprès, ai-je menti en reniflant. »
– Et c’est ainsi que j’ai échappé à ma première heure de colle. Est-ce que j’en ai récolté par la suite ? Seul le passé te le dira.
-Heu… Mais Pauline, c’est pas du tout badass ce que tu viens de me raconter, ça prouve encore plus que t’es une guimauve !
-Heu… Ouais, c’est vrai. Mais comme quoi, être un chamallow, ça te tire de bien des situations ! T’en as eu combien des heures de colle, toi, hein ?
Voilà pour la petite histoire qui a tellement amusé un ami qu’il fallait que je vous la partage. Dédicace à toutes les guimauves, les fleurs bleues, les bonnes pâtes, les oursons, les cœurs d’artichaud, les bisounours, les hypersensibles et les gentils.
PS : En vrai, il y avait des coquelicots et des écureuils à La Gariguette, mais le placenta, l’accouchement et les asticots, c’est pas des mythos. On vous aime les profs de SVT <3
Bravo , Pauline , pour ce moment de rire et d’ amusement . Tu as un don pour attirer le lecteur !
Moi , je n’ ai pas eu de colle . Ou si : je me suis un jour fait éjecter du cours d’ histoire parce que mes rires inopportuns ont énervé le prof . Je devais avoir 14 ans . Ce fut la seule fois de mon parcours d ‘ élève modèle et d’ étudiante un peu rebelle .
Bisous , Pauline !
Contente de vous avoir fait rire !
Qui n’a pas connu de crise d’hilarité en cours ? 😉