Où vont les rêves quand on devient grand ?

Je viens d’avoir 24 ans et j’ai peur. Depuis mon plus jeune âge, j’observe les adultes avec fascination. Ils semblent si sûrs d’eux en toutes circonstances, si certains de savoir ce qui est bon pour tout le monde, et puis ils sont même capables de remplir une déclaration d’impôt. Ils m’épatent. D’ailleurs, j’ai toujours préféré leur discussion à celle de mes camarades de classe. J’ai toujours voulu m’asseoir à leur table pour les regarder de plus près.

Mais voilà, depuis tout ce temps, une question me hante : à quel âge commence-t-on à oublier ?

Parce qu’ils oublient, les adultes. Ils oublient ce que ça fait d’avoir six ans et de se sentir incompris des plus grands. Ils oublient combien la tache sombre qui se reflète sur le mur de notre chambre peut être effrayante. Ils oublient à quel point les rêves les plus fous sont ceux qui nous permettent de tenir bon pendant l’adolescence. Et moi, je suis terrifiée à l’idée d’oublier. Parfois, je ferme les yeux très fort et j’essaie d’incruster les sensations dans ma chair. « Là, ils ne m’ont pas crue ». « Ce rêve est un peu fou mais rien d’autre ne m’électrise autant ». Depuis la maternelle, je m’efforce de tout mémoriser.

Et aujourd’hui, je m’apprête à être diplômée.

Je m’apprête à quitter cet entre-deux qui sépare l’adolescence et la vie d’adulte pour entrer dans leur cour pour de bon. Plus je grandis et plus je me dis qu’ils m’ont menti, les adultes. Ils ne sont sûrs de rien. Ils ne savent pas ce qui est bon pour tout le monde. Et même la déclaration d’impôt, elle leur file des boutons. Alors à quoi bon ? Si aucune bougie d’anniversaire ne nous imprègne de toutes les connaissances du monde après l’avoir soufflée, qu’importe le nombre d’années inscrit sur le gâteau ?

Dans ma tête, des dizaines de projets bouillonnent.

Ils couvent, ils patientent, ils attendent que vienne leur heure. Je ne veux travailler pour personne. Je veux rester libre. Libre. Libre. Libre. Je veux accomplir des choses qui ont du sens. Réaliser des projets qui comptent. Les tableurs Excel, les formalités, les convenances, ça me conduit au bord de l’apoplexie rien que d’y penser. Je regarde autour de moi et je vois mes camarades de promo qui se résignent, qui posent leurs bagages sous la Tour Eiffel, qui acceptent des stages qui ne paient même pas leur loyer. Je les vois qui enfilent des costumes, qui se déguisent pour suivre l’exemple des autres adultes, pour avoir l’impression qu’eux aussi, ils savent ce qu’ils font. Mais je me dis que ça sonne creux. Quand je parle aux plus vieux de monter une entreprise, d’essayer une voie différente, de se jeter dans la vie sans filets, ils sortent l’extincteur pour étouffer la flamme qui m’anime : « Vaut mieux trouver un CDI, les rêves ça ne paie pas le loyer ». Et s’ils le pouvaient, hein ?

Et s’il suffisait d’y croire un peu ?

Les rêves, c’est comme la poudre de fée dans Peter Pan. Si on n’y croit pas, ils ne peuvent pas nous permettre de voler. Toute ma vie, j’ai entendu « tu comprendras quand tu seras plus grande ». A 14 ans, quand j’ai commencé à exprimer mon désir de devenir écrivain, on m’a répondu « si tu avais du talent, quelqu’un aurait déjà frappé à la porte ». J’ai du mal à imaginer comment, vu que je n’avais jamais fait lire le moindre de mes textes à quiconque. A 20 ans, quand j’ai expliqué que je trouverais un moyen de gagner de l’argent avec ma plume, on m’a répondu « trouve-toi quand même une alternative, personne ne vit de l’écriture ». Et l’année suivante, j’étais immatriculée auprès de l’URSSAF et on me payait mes premiers articles. A 23 ans, quand j’ai compris que je ne pouvais pas tenir en place dans un bureau, on m’a expliqué qu’il faudrait bien que je m’y plie un jour, que tout le monde devait en passer par là. Aujourd’hui, mon canapé prouve le contraire. Heureusement que je ne voulais pas être astronaute, sinon on m’aurait poussée à devenir conductrice de bus « au cas où ».

Alors dites-moi, où vont les rêves quand on devient grand ?

Parce que j’aimerais bien que les adultes se souviennent. Qu’ils n’éteignent pas la petite flamme qui les réchauffe depuis qu’ils sont enfants. J’aimerais qu’ils arrêtent de faire semblant de tout savoir, de toujours mettre la sécurité au premier plan. Parce que voler, c’est risquer de tomber. Mais le voyage est quand même plus sympa que quand on marche. Et grandir est déjà suffisamment effrayant sans qu’on essaie en plus de nous tasser dans un moule qui n’est pas à notre taille. Parce qu’une fois son diplôme en poche, il n’y a plus de « après ». C’est là, c’est le grand saut, il faut décider ce qu’on veut faire de sa vie. En primaire, je me disais « au collège, tout sera plus clair ». Au collège, je pensais « au lycée, là ce sera vraiment plus simple ». Et puis une fois au lycée, le délai s’est resserré. « Ok, en prépa, là, c’est sûr, je saurais ». Et puis une fois en école de commerce « Encore deux ou trois stages et je serai sûre de la direction que prendra ma vie ». Mais voilà, la vérité crue, c’est qu’on ne sait jamais. On se laisse embarquer par les évènements autant qu’on les déclenche. Et une fois qu’on nous remet un diplôme avec une bonne tape dans le dos, on n’a pas d’autre choix : il faut se lancer. C’est terrifiant. Il y a quelques larmes, quelques crises d’hyperventilation. Mais quitte à sauter dans le vide, autant le faire avec style et s’essayer au grand saut, non ? Avec salto, pirouette et figure de l’ange au programme.

12 Replies to “Où vont les rêves quand on devient grand ?”

  1. J’adore ton article ! Surtout garde tes rêves Je viens de retrouver les miens et ne les lâche plus Tant pis si ce n’est pas assez « sérieux » pour ceux qui ont oublié les leurs Je ne les envie pas Prends soin de toi Bis

    1. Merci beaucoup pour ton message ! C’est super que tu aies retrouvé tes rêves, je te souhaite une belle réussite 🙂

  2. Je retrouve ton style , ta verve , ta bonne humeur , ton humour , ton sens du sérieux … tout ce qui fait que tu es toi , unique et irremplaçable . Tu as vu juste , Pauline : nous les adultes , les  » vieux  » , nous ne savons pas tout ; non , nous ne sommes pas sûrs de nous ( sauf certains qui croient tout savoir et sont toujours sûrs d’ eux , d’ avoir raison ) . Nous avons eu des rêves , mais bien souvent , nous les avons abandonnés pour nous tourner vers la sécurité , vers le bien-séant , le bien-pensant , le  » correct  » ( cela fait terriblement mal , le correct ! ) Nous avons souvent fait ce que d’ autres voulaient que nous fassions , avec de bonnes intentions ,  » pour notre bien  » , faisant fi de nos désirs .
    Vis tes rêves , Pauline ! Tu verras bien où ils te conduiront . Je souhaite que ce soit loin et dans le sens que tu désires .La vie s’ ouvre à toi , vis-la ! Bises

    1. Merci beaucoup pour cette très belle réponse. C’est vrai que j’ai souvent l’impression que beaucoup d’entre nous ont suivi les consignes des autres, en mettant de côté leurs propres envies… Mais ce qui m’étonne toujours, c’est qu’ils répètent le schéma avec la génération suivante. Je vous embrasse et vous envoie des brouettes de tendresse !

  3. Merci Pauline pour ces petites tranches d’honnêteté dont nous avons tous beaucoup de mal à faire preuve envers nous-même.
    Certaines phrases de ta conclusion résonnent très fortement :

    « Parce que j’aimerais bien que les adultes se souviennent. Qu’ils n’éteignent pas la petite flamme qui les réchauffe depuis qu’ils sont enfants. J’aimerais qu’ils arrêtent de faire semblant de tout savoir, de toujours mettre la sécurité au premier plan (…) Mais voilà, la vérité crue, c’est qu’on ne sait jamais. On se laisse embarquer par les évènements autant qu’on les déclenche. »

    Et si nous osions aussi montrer que, parfois, nous ne sommes encore que des enfants effrayés, malgré le job, la voiture, la maison…et les enfants !?

    1. Avec plaisir Valérian, je suis touchée que ces phrases aient pu résonner en toi de la sorte. Ce serait si beau si tout le monde osait se montrer un peu plus fragile, un peu plus incertain…

  4. Joli texte, merci de l’avoir écrit. Moi qui suis en pleine période de doute, cela me donne un peu d’espoir. Tu as raison, on suit la vie, et il faut aussi la prendre comme elle vient. Et continuer à suivre ses rêves, à essayer de les réaliser.
    Bon courage à toi pour la suite 🙂

    1. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de partager tes sentiments, bon courage pour traverser cette période de doute, tu n’en ressortiras que plus forte !

  5. Très belle plume et des mots qui résonnent (et raisonnent) en moi 🙂
    J’ai quitté le salariat récemment pour vivre de l’écriture aussi, lire ces quelques mots me réconfortent, on entend trop de discours moralisateurs et démotivants à longueur de temps.

    1. Merci beaucoup d’avoir partagé cette expérience, Florence. Ce n’est pas facile de se jeter à l’eau mais l’aventure vaut le détour ! Je te souhaite une belle réussite sur ce chemin et de bien profiter de ta liberté nouvelle 😉

  6. Rho la la , j’étais passée à côté de cet article, qui synthétise bien les peurs de l’adulte face à la réalité. Mais on en a parlé hier, c’est dur de se lancer mais ça fait tellement de bien, et tes mots font du bien aussi, et c’est ça l’important. Trouver sa voie, celle qui fait vibrer, celle qui nous fait nous sentir vivants.

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