[Nouvelle] Un conte d’hiver

Alice n’avait jamais aimé le mois de décembre. Les gens avaient beau accrocher des guirlandes colorées dans leur salon et des décorations lumineuses à leurs fenêtres, elle n’en trouvait pas moins que c’était un mois terriblement triste. Il annonçait la fin d’une année, une nouvelle page à tourner. Or, Alice n’avait jamais été très douée pour entamer de nouveaux chapitres de sa vie et détestait que le calendrier l’y oblige continuellement.

Ce soir-là, Décembre lui laissait une impression particulièrement amère. Un vent glacial soufflait sur la ville, faisant danser les arbres du jardin, semblant murmurer des contes d’un autre temps en effleurant les murs de la chambre. Alice s’était lovée contre son fils, allongée dans son petit lit, le nez enfoui dans sa tignasse brune. Elle se nourrissait de sa chaleur, de son odeur sucrée, humant sa peau comme si elle cherchait à s’emplir les poumons de sa progéniture. Seul le sifflement du vent venait troubler la douceur de ce moment.

— On dirait qu’il va neiger, murmura le petit garçon en souriant.

Alice releva la tête pour observer la nuit qui voilait le paysage derrière la fenêtre. Rien ne laissait présager une chute de neige mais Matéo semblait enthousiaste à cette idée. Il lui sembla inutile de gâcher son espoir. Elle l’enveloppa de ses bras et lui déposa un baiser sur le sommet du crâne.

— Je crois que tu as raison, confirma-t-elle, faussement enjouée. On dirait bien que tu pourras faire des tas de bonshommes de neige demain !

Le petit garçon hocha la tête, sûr de lui. Il se voyait déjà dans la cour, de la neige jusqu’aux genoux, laissant des empreintes éphémères de dinosaures et se fabriquant de nouveaux amis glacés.

— J’en ferai des supers gros, et je leur ferai des capes avec mes draps. Comme ça, la nuit, pendant que je dormirai, ils pourront s’envoler du jardin et aller où ils voudront. Ils seront pas obligés de rester là comme moi.

Ses mots heurtèrent Alice. Matéo détestait vivre ici, même si c’était ce qu’il y avait de mieux pour lui. Elle avait eu beau décorer sa chambre du mieux qu’elle avait pu, lui offrir ses friandises préférées et le gâter des plus beaux jouets, son fils ne s’était jamais accoutumé à son nouvel environnement.

— Tu sais ce qu’on pourrait faire s’il y a beaucoup de neige ? demanda-t-elle d’une voix mystérieuse.

Il secoua la tête de gauche à droite et leva vers elle un regard interrogateur, empreint de curiosité.

— On te construira un igloo !

Matéo émit un petit rire étouffé. Ses yeux étaient cernés. Il semblait lutter contre le sommeil, trop fasciné par l’éventuelle venue de flocons duveteux sur le rebord de sa fenêtre pour se laisser emporter par la fatigue. Alice ignorait comment elle avait pu donner naissance à un enfant qui aimait autant l’hiver, elle qui l’avait toujours détesté. À sa grande surprise, rien ne rendait Matéo plus heureux que trouver des congères devant la maison à son réveil. Chaque année, à l’approche du mois de Décembre, alors qu’Alice laissait la grisaille s’installer dans son cœur, Matéo trépignait d’impatience à l’idée de voir tomber les premiers flocons. Ce n’était pas même l’approche des fêtes et l’attente de cadeaux qui l’enthousiasmaient autant, la seule vue de la neige se déversant sur la ville suffisait à son bonheur. Le garçonnet n’avait que six ans mais il avait déjà décidé que l’hiver serait sa saison préférée pour toute la vie. « Pour toujours, maman, même quand je serai vieux comme toi » avait-il statué. Alors Alice avait dû se résoudre à lui parler de pays enneigés et de légendes de Noël pour l’endormir le soir. Elle ne s’était jamais familiarisée avec ces histoires, mais à voir les étoiles briller dans les yeux de son fils elle avait fini par se laisser prendre au jeu.

Ce soir-là, pourtant, Alice repoussait l’heure du conte. Elle sentait bien que Matéo voulait dormir, qu’il était temps d’éteindre la lumière et de le laisser se reposer, mais elle ne pouvait s’y résoudre. Elle avait besoin de tenir son petit corps chaud contre sa poitrine encore un peu, de sentir ses mèches brunes glisser entre ses doigts. Elle avait besoin de percevoir sa présence, de savoir qu’elle n’était pas seule en cette nuit terriblement morne.

Elle avait un peu honte. C’était elle l’adulte, mais c’était elle qu’il fallait rassurer. C’était elle qui avait le cœur qui palpitait et la lèvre qui tremblait. Matéo, lui, n’avait pas peur. Ni le grincement du vent, ni l’obscurité ne semblaient l’effrayer. Il était curieusement paisible, prêt à se laisser glisser dans le cœur de la nuit. Son calme la déboulonnait.

— Tu me racontes une histoire ? demanda le petit garçon de sa voix fluette.

Il bailla. Alice resserra son étreinte, se creusant les méninges à la recherche d’une histoire qui pourrait lui tenir chaud en cette nuit glaciale. Une qui ne soit pas trop courte, de préférence. Peut-être que, si elle parvenait à mobiliser tous ses talents de conteuse, Matéo resterait éveillé un peu plus longtemps juste pour en entendre la fin.

— Tu es sûr ? Fatigué comme tu es, tu vas t’endormir avant que j’aie fini de la raconter.

— Allez maman, raconte-moi une histoire, gémit-il. Je suis même pas fatigué d’abord.

Il avait les paupières lourdes, à demi closes. Il frissonna. Alice posa une main sur son front, pinça les lèvres. Depuis deux jours, le petit garçon avait une fièvre si virulente que ses yeux brillaient comme une mer huilée. Il leva vers elle son visage pâle, implorant. On aurait pu lire les contes dont il attendait d’être bercé dans ses iris.

Alice le dévisagea, le cœur lourd. Elle aurait voulu retenir le temps, inscrire leur étreinte dans un fragment d’éternité, rester dans la chaleur de leur cocon à tout jamais. Elle aurait voulu pouvoir lui construire un igloo et l’y mettre à l’abri, l’inviter à se rouler dans la neige pour que son petit corps bouillonnant de fièvre recouvre une température raisonnable. Elle ne supportait pas ce sentiment d’impuissance qui l’accablait. Les mamans n’étaient-elles pas censées épargner la souffrance à leurs enfants ? N’étaient-elles pas supposées être capables de les soigner ?

La jeune femme effleura les taches de rousseur qui marbraient les joues et le nez de son petit garçon, dessina le contour de ses oreilles minuscules du bout des doigts. Elle se concentra sur le parcours de sa main, fuyant le regard impatient de son fils. Elle remonta l’arête de son nez, replongea dans ses boucles emmêlées. Elle gagnait du temps. Tant qu’elle n’ouvrait pas les lèvres, la fin de l’histoire n’était pas près d’arriver. Tant qu’elle gardait ses contes muets, elle pouvait s’imprégner de son fils, mémoriser la douceur de sa peau, les reliefs de son visage. Pourquoi Matéo était-il si pressé ? Ne pouvait-il pas lui offrir encore quelques instants de douceur ?

L’enfant lui attrapa une mèche de cheveux et se balaya le bout du nez avec les pointes blondes, comme il le faisait avec son doudou lorsqu’il n’était encore qu’un nourrisson. Il frissonna de nouveau, ferma les yeux. Comme pour oublier sa douleur, il se concentra sur l’odeur des cheveux maternels, se laissa bercer par les caresses d’Alice. La jeune femme regarda par la fenêtre. Les arbres s’agitaient. De temps à autre, une branche venait tapoter les vitres, comme pour lui rappeler que ce lit n’était qu’un cocon, que dehors la réalité l’attendait de pied ferme. Matéo ne semblait pas perturbé par ces intrusions. Tout ce qui l’inquiétait était de savoir s’il neigerait avant qu’il s’endorme. Il espérait secrètement qu’à son réveil, le lendemain, le paysage se soit couvert d’un manteau blanc, lui offrant un nouveau terrain de jeu. Cependant il peinait de plus en plus à repousser le sommeil. Il ne serait probablement pas capable d’attendre la venue de la neige avant de s’endormir. Alice sentit qu’il lui échappait. Elle prit une profonde inspiration et se résigna à lui délivrer son conte du soir.

— Bon, bon, d’accord. Je vais te raconter une histoire, annonça-t-elle sur le ton de la confidence. Est-ce que tu as déjà entendu parler de Jack Frost, le semeur de givre ?

Le visage du garçonnet s’illumina à l’évocation de ce nom. Il parvint à maîtriser ses paupières l’espace d’un instant.

— Jack Frost ! s’émerveilla-t-il. C’est le meilleur. Même que c’est lui qui fait tomber la neige.

— Eh ! C’est toi qui raconte l’histoire ou c’est moi ? le taquina Alice en lui caressant le visage.

Matéo lui répondit d’un sourire malicieux, étirant tant bien que mal ses lèvres blêmes. La fièvre semblait avoir aspiré toutes les couleurs de son visage.

Alice enroula une boucle brune autour de son index, laissa glisser sa main sur son front. De nouveau les oreilles, l’arête du nez, les taches de rousseur… La moindre seconde était précieuse, elle savourait les minutes, laissait chaque instant se fondre en elle comme on laisse un carré de chocolat fondre sur la langue.

— Alors, c’est une histoire qui s’est passée il y a très, très, très longtemps, commença Alice en parlant de sa voix de conteuse, celle qu’elle prenait seulement le soir pour s’adresser directement aux rêves de son fils. À cette époque, il ne neigeait jamais sur la Terre. L’hiver n’était qu’un condensé de brouillard et de pluie si froide qu’on avait l’impression qu’elle nous transperçait les os. Les enfants étaient obligés de rester chez eux et de faire leurs devoirs car il était impossible d’aller jouer dehors. Un jour, il y eut un terrible tremblement de terre qui secoua toutes les maisons du monde et le ciel devint tout blanc. Un nouveau dieu venait de naître. Tu sais qui c’était ?

Matéo hocha la tête mais ne répondit pas. Niché contre la poitrine de sa mère, il était calme et paisible. Quelques gouttes de sueur perlaient sur son front, sa respiration était lente. Il se caressait encore la pointe du nez avec la mèche de cheveux. Un geste qui l’ancrait dans la réalité, dans les bras chaleureux d’Alice, tout en le réconfortant suffisamment pour l’encourager à se laisser happer par le sommeil. La jeune femme passa une main rassurante dans ses cheveux sombres. Elle pouvait sentir que l’esprit de son fils s’éloignait d’elle peu à peu, se retirant vers d’autres contrées où, elle l’espérait, les contes devenaient réalité. Il ne dormait pas encore tout à fait, s’accrochant à ses mots, luttant pour entendre quelques péripéties supplémentaires.

Alice avait trop attendu. Elle avait voulu gagner du temps mais elle avait surestimé les forces du petit garçon. À cause d’elle, il s’endormirait sans avoir entendu la fin de l’histoire. Elle poursuivit tout de même son récit, sachant pertinemment qu’il ne l’écoutait plus. Elle voulait s’assurer que sa voix l’accompagne jusque dans les limbes, que Jack Frost, son héros préféré, le guide jusqu’au bout de la nuit.

La jeune femme déroula son histoire d’un trait, se laissant porter au gré de son imagination, l’étoffant de nouveaux détails et de péripéties inédites. Matéo avait beau s’être endormi à peu près cinq minutes après le début du récit, Alice ne doutait pas que ses paroles fassent échos dans son esprit. Elle parla jusqu’à n’avoir plus de salive. Tant que son conte n’était pas fini, elle pouvait chérir l’illusion de bercer encore un peu son fils. Emportée dans son élan, elle inventa des écoles pour bonshommes de neige, des fleurs de givre et des dragons de glace qui semaient la neige sur les toits du monde entier.

— Ils avaient des écailles de glace ! s’extasia-t-elle. Tu te rends compte ? Et ils ne crachaient pas des torrents de flammes, ça non, ils déversaient des geysers de neige. Jack Frost pouvait grimper sur leur dos et parcourir la Terre en un clin d’œil. Personne ne pouvait les voir, ils cavalaient dans le ciel, invisibles, libres de semer la neige sur leur passage.

Alice parlait avec urgence, comme effrayée que le silence puisse s’installer dans la petite chambre de son fils. Que ferait-elle une fois l’histoire achevée ? Qui l’aiderait à affronter la solitude et l’obscurité ? Tant qu’elle trouvait des merveilles à raconter, tant qu’elle créait de la matière en mesure de combler le vide qui la menaçait, elle pouvait repousser la fatalité, tenir la vérité à distance. Mais une fois qu’elle serait à court d’idées, bien obligée de poser le point final de son conte, elle devrait faire face à ce qu’elle fuyait depuis des mois. Elle savait pertinemment que, ce soir-là, Décembre l’obligeait à tourner une page de sa vie prématurément, lui laissant à tout jamais le souvenir de l’hiver le plus glacial de son existence. Tout ce qu’elle pouvait faire pour lutter contre cela, c’était gagner du temps, reculer l’échéance.

Au fil de son récit, Alice se laissa submerger par les souvenirs des cinq derniers hivers. Elle revit Matéo marcher pour la première fois dans la neige, titubant, enseveli jusqu’aux hanches dans la poudre blanche. Cette texture froide et mouillée qui aurait fait pleurer n’importe quel enfant avait étiré ses lèvres fines en un immense sourire. C’est en voyant Matéo s’émerveiller à chaque flocon qui venait se déposer sur ses taches de rousseur qu’elle avait compris que ce petit être apporterait un halo de lumière dans la grisaille de ses hivers. Alors, pour entretenir la joie de son fils, Alice lui avait appris à mouler une boule bien ronde et bien lisse dans ses toutes petites mains, elle lui avait montré comment sculpter ce matériau éphémère. Subjuguée par ce sourire si rayonnant et innocent que lui servait son fils à chaque découverte enneigée, elle s’était même laissée tomber dans une congère et avait battu des bras et des jambes pour créer l’empreinte d’un ange.

La jeune femme se remémora les soirées au coin du feu où Matéo lui réclamait des histoires à répétition. Tous deux s’emmitouflaient dans des plaids pelucheux, se blottissaient l’un contre l’autre, un chocolat chaud leur réchauffant les mains, et ils parlaient de baleines volantes, de lutins maléfiques et de sorciers capables de faire tomber la neige pendant des heures.

Allongée là, serrant son petit garçon fort contre son cœur, Alice eut presque l’impression de revivre une de ces soirées magiques. Elle songea que si elle fermait les yeux un instant, elle pourrait peut-être percevoir l’odeur du chocolat tout juste fondu et du bois qui se consume doucement. Peut-être même qu’en se concentrant un peu, elle pourrait sentir la chaleur des flammes qui léchaient les bûches et retrouver la douceur des plaids dans les draps de coton qui l’enveloppaient. Mais elle n’eut pas le courage de s’y essayer. Elle craignait trop de rouvrir les yeux ensuite. Elle doutait pouvoir supporter que la réalité l’arrache à une vision si douce.

Alors Alice se concentra sur la suite de son récit. Son esprit divaguait et la ramenait inlassablement à ses souvenirs, néanmoins la jeune femme ne voulait pas baisser les bras. Elle sentait bien que son imagination commençait à faire défaut mais elle ne pouvait se résoudre à conclure son conte. Pas maintenant. Elle n’était pas prête. Elle ferma les yeux, replongea son nez dans les boucles brunes de Matéo et poursuivit son histoire, murmurant plus qu’elle ne parlait vraiment. Elle expédia Jack Frost en Inde, en Egypte, au Burundi, en Argentine et aux Etats-Unis, lui faisant faire le tour du globe en quelques phrases. À dos de dragons, perché sur des skis magiques, escaladant les plus hautes montagnes de la Terre, elle conduisit son héros dans des aventures trépidantes, pleines de danger et de mystères.

Quand elle sentit que le moment était venu, que Matéo dormait bien trop profondément pour que ses paroles ne l’atteignent, Alice décida qu’il était temps pour elle de regagner la réalité. Elle jugea que l’heure était venue d’affronter son destin. Tout en sachant que Matéo ne prêtait plus attention à ce qu’elle disait, elle soigna méticuleusement les détails de son final. Elle parla d’une voix douce, couvrant le corps du petit garçon de caresses. Elle expliqua à son fils que Jack Frost était né pour que les enfants ne se sentent jamais seuls quand les jours sont tristes et froids. Elle lui raconta comment Jack Frost faisait tomber la neige pour aider les petits garçons malades à lutter contre la chaleur de la fièvre. Les yeux rivés sur l’horizon, elle lui décrivit les incroyables pistes de luge qu’il fabriquait pour que tous les enfants du monde n’aient jamais peur d’affronter l’hiver.

— C’est pour cela que, chaque hiver, quand le soleil se retire dans un autre coin du Globe pour offrir sa chaleur à d’autres enfants, Jack Frost se réveille et fait tomber la neige. Grâce à lui, les enfants se moquent du mauvais temps et en font même un prétexte pour aller jouer dehors. Tout ça parce que Jack Frost a fait le vœu qu’aucun enfant n’héberge jamais de grisaille dans son cœur, conclut Alice en dégageant une mèche de cheveux du visage de Matéo.

Le silence prit le relai, racontant sa propre histoire. Alice ne sentit plus la frêle poitrine de son fils se soulever contre elle. Elle colla sa joue contre la sienne, inspira profondément, se gorgea de l’odeur sucrée du petit garçon, satisfaite d’avoir pu lui livrer la fin de ce conte. Étrangement apaisée, elle quitta le lit, contourna la table de chevet où étaient entassés des tas de médicaments et réajusta les couvertures sur le petit corps paisible. Elle borda soigneusement les draps, remonta les oreillers puis déposa un baiser sur la joue de Matéo. Elle prit quelques secondes pour contempler la scène. On aurait pu jurer que le petit garçon dormait paisiblement. Si elle venait tout juste d’entrer dans la chambre, si elle n’avait pas éprouvé cette déchirure en son sein, cette insoutenable douleur dans ses tripes, elle-même aurait pu y croire l’espace d’un instant. Mais la réalité les avait tous deux rattrapés. Les paupières du petit garçon s’étaient montrées plus fortes que lui et s’étaient scellées, avalant son regard innocent sur lequel naviguaient des milliers de contes enneigés. Toutes les histoires du monde n’auraient pu empêcher cela.

Alice rassembla ses forces, vint se poster dans l’encadrement de la porte. Elle passa la tête dans l’entrebâillement, balaya le couloir des yeux, cherchant à accrocher le regard de quelqu’un.

— Vous pouvez venir, annonça-t-elle du bout des lèvres. Il s’est endormi.

Des bruits de pas lui répondirent. Alice se tourna vers la fenêtre et fixa la valse des arbres entrainés par le vent. Une infirmière entra dans la chambre, s’approcha de Matéo, doucement, comme si elle craignait de le réveiller. Elle posa deux doigts sur sa carotide. Alice garda les yeux rivés sur l’horizon, scrutant les ténèbres. Au loin, à peine éclairée par le clair de lune, il lui sembla percevoir une minuscule perle duveteuse voleter dans la nuit. Elle fronça les sourcils, fit un pas vers la fenêtre, abasourdie. L’infirmière délaissa le garçonnet, posa une main amicale sur l’épaule d’Alice.

— Il s’est bien battu, dit-elle d’une voix calme, mais il ne pouvait rien contre cette fichue leucémie.

Alice ne lui prêta pas attention, s’avança un peu plus vers la fenêtre. La petite chambre d’hôpital n’avait plus d’importance, le poids du silence sembla s’effacer. Matéo n’était plus ce petit corps dévasté par la fièvre, il n’était plus ce petit garçon auquel elle s’était désespérément accrochée, qu’elle avait tenté de retenir à coups de contes et de caresses. La jeune femme écarquilla les yeux, époustouflée par le spectacle que la nature lui offrait. La perle cotonneuse fut suivie d’un flocon de neige qui se laissait tomber timidement. Le cœur d’Alice bondit dans sa poitrine. Elle observa sa danse avec bienveillance puis leva les yeux au ciel, guettant le prochain.

— Je suis désolée, insista l’infirmière, comme pour légitimer son constat.

Ses paroles glissèrent sur Alice, s’évaporèrent doucement dans les airs. Des larmes vinrent s’enfiler à l’orée des cils de la jeune femme, ne manifestant aucune joie ni aucun désespoir, ou peut-être les deux à la fois. Alice porta une main à ses lèvres comme pour repousser un hoquet de stupeur qui cherchait à s’extérioriser. Dehors, de minuscules paillettes blanches virevoltaient dans le vent.

— Matéo avait raison, murmura la jeune femme, il se pourrait bien qu’il neige cette nuit.

paulineperrier

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