Textes et nouvelles

Ma participation au prix Kobo Writing Life

Ce mois de Novembre 2023, j’ai participé au prix Kobo Writing Life pour retrouver une discipline d’écriture. Un concours d’écriture qui a lieu chaque année sur le compte instagram de Kobo Writing Life et qui demande aux participants de composer chaque jour, pendant 21 jours, un texte très court (max 750 caractères) sur un mot imposé.

Je vous propose de découvrir mes 21 nouvelles.

  1. Manuscrit

Des gouttelettes de sang séché sur les mains, elle retournait la terre à grosses pelletées. Tout son corps tremblait, secoué de rage et de honte. Si elle n’avait pas craint d’être surprise, sans doute aurait-elle hurlé. Tant de sentiments refoulés bouillonnaient en elle depuis des mois. Elle ignorait comment elle en était arrivée là, mais elle ne pouvait plus faire machine arrière. L’aurait-elle seulement voulu, si elle l’avait pu ? Probablement pas. Il l’avait trop fait souffrir. La magie du début s’était rapidement étiolée, ne laissant plus que le doute lui coller à la peau. Même si avec lui, c’étaient ses rêves qu’elle enterrait, elle ne voyait d’autre issue. C’était la seule façon qu’elle avait trouvée d’achever ce manuscrit.

 

  1. Toundra

— Alors, c’est bon ?

— 1 minute, ça vient !

— Cette fois, c’est la bonne. Je le sais.

— Tu vas me porter l’œil.

— J’ai allumé un cierge, Pluton est en rétrograde, toutes les chances sont de ton côté.

Mon Dieu mais qu’est-ce qu’elle est capable d’inventer, quand elle s’y met.

— Si tu continues à me déconcentrer, je ne vais jamais y arriver.

Un soupir me parvient de l’autre côté de la porte. Ma sœur consent au silence. Il n’en faut que quelques secondes pour qu’il devienne pesant. Pourtant, je n’ose sortir. Ce sont un peu mes toilettes de Schrödinger. Tant que je n’ouvre pas la porte, je peux y être enceinte et ne pas l’être.

— Alors ?

Je retourne le bâtonnet. Une barre rose m’assomme le moral. Retour à la réalité.

— Alors cet utérus est une toundra.

 

 

  1. Kaléidoscope

Jour 5 :

Cet enfant n’a donc aucun instinct de survie. Il saute, rampe, roule et sprinte à toute allure, puis recommence. Pas forcément dans l’ordre. Si au moins je pouvais voir un peu de paysage à ses côtés… Non. Quand il colle ses yeux porcins à mon œilleton, c’est pour me pointer droit vers le soleil. Comme si j’étais un vulgaire télescope ! Aucun sens de l’esthétique. Je rêve qu’il me perde, ou qu’il me ramène au marché aux puces où ses parents m’ont dégoté. Au moins, là-bas, je voyais des couleurs danser sur les feuilles et les tenues des passants. Ce propriétaire est un enfer. Jamais le temps d’accommoder ma vue que déjà il me refourgue dans sa poche. Avec toutes les cascades qu’il m’impose, pas sûr de survivre encore longtemps.

 

  1. Missive

— Mon colonel, une missive vient d’arriver pour vous.

Affairé à trier des documents dans son bureau de fortune, le colonel se fige à cette annonce. Une missive, en ce jour, cela ne peut signifier que deux choses. Des nouvelles de Joséphine ou de Pete Harman. Il espère que ce n’est pas Joséphine.

— Qu’indique le cachet de la poste ? Utah ou Kentucky ?

— Utah, mon colonel.

— Dieu soit loué !

Il se redresse d’un élan vif, s’empare du courrier et s’empresse de le décacheter. Jefferson se hisse sur la pointe des pieds, tente de déchiffrer la nouvelle n’obtient qu’une vue plus rapprochée de la crinière argentée du colonel.

— Nous sommes riches ! s’extasie ce dernier. Harman propose 2 millions.

— Vous voici devenu le roi du poulet, Colonel Sanders.

 

  1. Vaciller

Jérémy ne savait pas skier. Il été naît sur la côte Basque, où la neige n’a point de prise sur le sable. Son père était routier, sa mère secrétaire. Les vacances étaient réservées pour rendre visite aux grands-mères ; de toute façon, le ski c’était trop cher. Pourtant, quand Alma lui avait demandé de lui apprendre à dévaler les pistes, il avait répondu oui sans ciller. On ne refusait rien à des yeux de feu et une silhouette de chat. Surtout quand on l’aimait en secret depuis des mois.

Maintenant que le bus du bureau des sports arrivait au pied des pistes, l’étudiant se sentait vaciller. S’il trébuchait en descendant, peut-être pourrait-il se défiler.

 

  1. Stèle

Elle avait attendu l’heure du goûter pour lui rendre visite. C’était le temps fort de sa journée, loin devant les lotos du week-end. Discuter du gâteau du jour devant Questions pour un Champion les occupait un moment ; une distraction bienvenue là où les sujets du quotidien creusaient un fossé entre elles.

— Vous venez pour ma toilette ?

— Non, mamie, je viens prendre le goûter avec toi.

Emmitouflée dans un gilet en laine, elle plissa les yeux pour mieux la détailler.

— Ah ! Marie, tu as changé quelque chose à tes cheveux ? Je ne t’ai pas reconnue.

— Ce n’est pas Marie, mamie. C’est Estèle. E-stèèèle.

Estèle s’assit l’air de rien. Pourtant, la même douleur lui mordait le ventre chaque fois que sa grand-mère la confondait avec sa sœur disparue.

 

  1. Indéniablement

– Messire, on nous assiège !
– Manifestement.
– L’aile ouest est en train de céder. Nous devons riposter.
– Évidemment.
– Mais notre infanterie est déjà déployée à Poitiers, ils nous surpassent en nombre.
– Vraisemblablement.
– Messire, avec cette force d’attaque, nous sommes fichus.
– Indéniablement.

 

  1. Paysage

Milo a mal aux pieds, Lou veut rentrer et le chien a décidé de renifler tous les buissons du sentier. Jean a bu la moitié de nos réserves d’eau et je jurerais avoir oublié d’emporter les sachets de Pépito. J’y pense depuis le troisième kilomètre de la rando, mais je n’ose vérifier : tant que je n’en ai pas la certitude, je me repasse le film des préparatifs en boucle au lieu d’imaginer la tragédie qui m’attend. Autant limiter le nombre de décibels qui torturent mon imagination.

L’ascension est chaotique, mais la vue qui s’offre à nous au point de campement met de l’ordre dans les cœurs. Je dégaine mon téléphone pour immortaliser l’instant.

— Milo, tu veux bien te gratter les fesses plus loin ? Tu gâches le paysage, là.

 

  1. Coruscant

Brillez dans l’éternel avec notre modèle Williams Prestige. Considéré comme la Rolls des cercueils, ses finitions soignées séduiront vos proches et assureront le repos à votre corps dans un paradis de satin. En essence d’acajou, son vernis coruscant offre un contraste saisissant avec ses six poignées en bronze – idéales pour un cortège en grandes pompes.

 

 

  1. Entourloupe

— OK Ferguson, je te donne un troupeau de vaches si tu me rends l’hectare au nord du ruisseau.

— C’est peu cher payé pour un si beau lopin de terre.

Clarke tapa du poing sur la table.

— C’est déjà fort généreux pour une terre qui m’appartient ! Tu préfères peut-être régler cette affaire en duel ?

Ferguson secoua la tête, désintéressé.

— Un troupeau de vaches et l’autorisation d’épouser ta fille, voilà mon prix.

Enfin, la discussion devenait intéressante. Récupérer sa terre et arranger un mariage inespéré dans la foulée… On pouvait considérer cela comme un mardi productif.

— Mais pas d’entourloupe, je veux celle qui est jolie, précisa Ferguson.

Clarke grimaça. Il fallait bien qu’il y ait un loup : marier Bernice était trop beau pour être vrai.

 

 

  1. Indigo

— Allo ?

— Coucou papa, c’est Lily, je t’appelle car j’ai un petit service à te demander…

—Lily, tu as vu l’heure ? Tu devrais déjà être à la maison. Tes cousins sont là, ta mère a sorti le foie gras… Tu ne vas tout de même pas arriver en retard au réveillon ?

— Je fais face à un léger contre-temps, mais si tu peux te glisser dans le bureau sans que maman ne le remarque, tu pourrais m’être d’un grand secours.

— Qu’est-ce qu’il te faut ?

—Dans l’armoire du bureau, en haut à gauche, il y a un tiroir avec mon téléphone pro. Tu le vois ?

—  Hmm… Oui, oui, je l’ai.

— Super, tu peux ouvrir l’application Samsung tracker ?

— Ne me dis pas que tu as encore perdu la voiture ?

— Ce n’est pas ma faute si tous les étages des parkings Indigo se ressemblent !

 

 

  1. Mille

Mille fois, j’ai rêvé ton visage. Mille fois, j’ai sous-estimé les traits qui m’attendaient. Je t’ai vu blond, brun, barbu, le menton nu, carriériste, je m’enfoutiste, attentionné ou détaché. Je t’ai espéré, invoqué, parfois rejeté, persuadée que si tu ne venais pas, c’est que ces histoires n’étaient pas faites pour moi. J’ai fouillé des iris vides dans l’attente d’un éclat, quitté des bras qui n’étreignaient pas comme je l’attendais de toi. J’ai attendu la nuit, convaincue que je ne te trouverais qu’en elle, et voilà que je ne veux plus fermer les yeux. Un sourire a suffi à m’en convaincre : mille songes ne valent pas une vie avec toi.

 

  1. Épouvanté

Le tic-tac de l’horloge perturbe le silence. Un vieux coucou de grand-mère bon à collecter la poussière, ni pratique ni joli, qui martèle le temps qui fuit d’un désagréable gazouillis comme si ça rendait l’approche de la mort plus mélodieuse. Dans un chalet de montagne comme celui-ci, c’en est presque cliché. Je traverse le salon sans me priver d’un coup d’œil aux photos de famille accrochées aux murs. Les électroménagers en veille me guident de leur lueur rougeâtre. La première marche de l’escalier grince. Je n’aime pas m’annoncer. La jambe arrière suspendue, l’oreille tendue, je guette. Pas un bruit. Elle doit dormir. Je me hisse à l’étage, ouvre la porte de la chambre, dégaine mon couteau. Une paupière s’ouvre. Elle sursaute, épouvantée.

 

 

  1. Berceau

Ce village, c’était le berceau de mon enfance. Je l’aimais autant que je le méprisais. Je l’avais quitté à dix-huit ans pour suivre des études en droit, à l’époque où encore peu de femmes s’engouffraient dans cette voie, et je ne l’avais quasiment plus revu. Un Noël par-ci par-là, l’enterrement de Nonna, peut-être un été entre Philippe et le barreau. Voilà. Je m’en étais défait comme une mue, abandonnant ses odeurs et ses souvenirs derrière moi. À Lyon, quand on me demandait d’où je venais, je n’en parlais pas. Plus depuis le drame. Devoir en retrouver les rues, c’était un crève-cœur. Même si ce n’était que pour un week-end, je n’étais pas prête à affronter les secrets que j’y avais laissé.

 

  1. Inouï

— Et on proposera un service si qualitatif que tout le monde voudra voyager en train.

— C’est inouï, du jamais vu.

— Exactement. D’ailleurs, ça s’appellera comme ça. TGV Inouï.

— Les gens vont adorer.

— Excusez-moi, mais du coup, qu’est-ce qui va changer par rapport aux TGV d’avant ?

— Voyons Jérôme, tu as suivi la réunion ou bien ? On leur met un menu salade dessert à 16.90avec un grand chef en photo au wagon bar, des prises tous les douze sièges, et une mascotte rigolote sur la poubelle.

— Et s’ils veulent pas de prise et pas de bagage, ils prennent un Ouigo. C’est moins cher.

— Y aura moins de retards sur le service Inouï, aussi.

— Ah non, Claudine, ça, les retards, on peut pas promettre.

 

  1. Pupille

— Placez-vous là, ma mie, que le soleil souligne vos pommettes.

— Comme ceci ?

— Parfait.

Marguerite recule d’un pas, me détaille, puis replie son éventail d’un geste sec, l’air satisfait. Je ne la connais que depuis hier, mais ma logeuse dit qu’elle a un bon parti à me présenter. Un négociant de fourrures. L’hiver est trop rude dans ce pays pour épouser un fermier, et cet homme serait souvent absent. Une aubaine, pour une pupille du roi.

— Ouvrez donc la porte.

Le valet s’exécute. Je retiens mon souffle. Un homme enveloppé d’une cape sombre apparaît. Le nez biscornu, la mine quelconque. Ni laid ni beau ni fermier. Je lui souris. Je n’ai point quitté la misère parisienne pour m’abandonner au gel québécois.

 

  1. Stégosaure

— Dis, t’as vu ça ?

— Quoi ?

— Des scientifiques ont accidentellement créé un poulet à tête de dinosaure.

— T’as vu Jurassic Park ?

— Ouais.

— Alors crois-moi, Mark, personne ne créé des Poulosaures par accident.

— J’ai creusé un peu, d’autres ont réussi à créer des poulets avec des pattes de dinosaures. En combinant le tout, on approche du vélociraptor.

— De quoi passer l’envie de bouffer des nuggets.

— Tu crois qu’on pourrait finir par cloner des dino stylés ? Genre… Un stégosaure ?

— On a déjà du mal à avoir des humains avec un cerveau fonctionnel, alors un dinosaure à deux cerveaux ?

— J’sais pas… On peut toujours rêver.

— Passes-moi plutôt la glacière, le rein est prêt. On ferait mieux de décamper, notre gars n’est pas loin de se réveiller.

 

  1. Vilipender

— Qu’on nous vilipende, qu’on nous chansonne, qu’on nous noircisse, on survit à tout cela.

Lou lève un sourcil empreint de jugement.

— T’as vraiment rien trouvé de mieux ?

— Mieux qu’Alexandre Dumas ?

— OK la prof de français, merci pour ton concours, mais là c’est toi que j’ai envie de vilipender.

— Écoute ma chérie, ces gamins sont des cons. Voilà, je n’ai pas les mots. Il t’a fallu beaucoup de courage pour monter sur scène ce soir, tu peux être fière de toi.

Elle ne se souvient plus quand elle a commencé à porter du mascara, mais ça rend ses trainées de larmes bien plus douloureuses. Elle en a pourtant passé des nuits, à sécher ses pleurs. Pourquoi a-t-elle l’impression d’avoir oublié comment s’y prendre depuis qu’elle se maquille les yeux ?

 

  1. Torsade

Quand j’étais petite, mamie insistait pour me récupérer à la sortie de l’école à la place de maman. « Les hommes sont promus plus vite car ils ne se soucient pas de faire goûter les enfants à l’heure » martelait-elle. Si c’était une intention honorable, je crois qu’elle s’accrochait surtout à chaque instant passé avec moi. Tous les soirs, elle m’attendait avec un sachet de viennoiserie encore chaud, une brique de jus d’orange, et elle s’appliquait à tout connaître de ma journée sur le trajet du retour. J’appelais ce régime 100% sucre « une torsade aux règles de maman », ayant du mal à retenir « entorse ». Vous raconter ce souvenir pour lui dire adieu, savoir que nous ne partagerons plus de goûter, est un déchirement absolu.

 

  1. Crocus

— William, il faut que tu arrêtes de jurer comme un charretier.

— Je ne le fais pas exprès, moi ! Ça sort tout seul.

— Eh bien mords-toi la langue. On a un bébé de six mois, je ne veux pas qu’elle lâche un « pute borgne » pour premier mot.

— Tu as choisi un Marseillais, faut assumer ma puce.

— Désormais, tu me donneras 5€ à chaque gros mot.

— On passe au racket ?

— Méthode marseillaise, mon amour.

— Dans ce cas, je ne monte plus en voiture avec toi. J’aurais pas le temps d’arriver au supermarché que je claquerais mon SMIC.

— Et si tu remplaçais les gros mots ? Tu pourrais dire cet enfant de lutin, butin, chauffard de mes vœux

— Tout ça parce que j’ai dit que t’avais un… crocus magnifique quand t’étais enceinte ?

— Ah ! Tu vois quand tu veux ?

 

  1. Triomphe

Allez, oust, faites de la place dans ma tête. C’est à moi de prendre la parole. 21 jours à vous écouter, vous incarner, tordre les consonnes et les voyelles pour vous donner vie. 21 jours à laisser mes doigts courir sur le clavier… c’est plus qu’un marathon, c’est un GR de l’écriture. Certes, au chaud, sous le plaid, avec un thé ou le chien qui ronfle à côté. Mais quand même, toutes ces voix dans la tête c’est aussi lourd qu’une tente et un sac de bivouac sur le dos. Je ne pensais pas y arriver. Rien que trouver le temps, ce gourgandin qui adore me filer entre les doigts quand j’essaie de l’arrêter… Mais je l’ai fait. C’est un triomphe. Je ne comprends pas que le chien ne fasse pas des loopings sur le canapé. 21 jours… saurai-je continuer ?

paulineperrier

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