J+13 de mon retour à la normale. Je vais bientôt battre mon record d’habitation dans mon propre appartement, depuis Décembre 2019. Alors que le monde se déconfine, me voilà qui me reconfine dans mon cocon, qui me réapproprie ces lieux oubliés. A midi, c’est l’alerte, il faut se refaire à manger. Plus de bouibouis en bord de route, plus de boîtes de conserve ouvertes par maman. Les courgettes me regardent dans le frigo. On s’observe avec méfiance, je repousse l’échéance jour après jour. La sensation de l’économe entre mes doigts m’est étrange. J’avais oublié que je devais me nourrir, les quarante minutes qui défilent sur le minuteur du four sont une torture pour mon estomac. Je finis par taper un paquet de Tucs en attendant.
Quand le gratin est prêt, je n’ai plus faim.
Pas de doute, je suis bien retournée à la vie normale.
Le jour où j’ai renoncé à l’agitation
Je suis revenue à Toulouse sur un coup de tête. Comme un pansement qu’on arrache. Parce qu’il fallait bien le faire un jour. Parce que mon intimité me manquait. Parce que plus on retarde l’inévitable, plus il fait inévitablement mal. Et parce que mes parents avaient besoin de ma chambre, pour pouvoir redécorer la leur, aussi.
Depuis Décembre, j’ai vécu avec urgence. Chaque semaine un projet, chaque semaine une nouvelle envie de bouffer le monde. Des plans de voyages sur la comète, des amis que je ne voulais pas lâcher. Quand un virus est venu chambouler ma petite vie bien agitée, qu’il a obligé le monde à cesser de tourner, j’avoue avoir eu l’angoisse de me retrouver avec moi-même. Se confiner en famille rassurait autant mes parents que ça m’offrait un filet de sécurité. Déjà parce que j’aurais probablement tué mon voisin qui se prend pour un guitariste de renom, ou celui qui perd visiblement très souvent à Fifa, si j’avais dû entendre leur brouhaha pendant 2 mois. Et, croyez-moi, je n’ai pas la force d’aller cacher leurs corps dans le jardin japonais, surtout que les carpes plus grandes que moi me font très peur et qu’elles auraient pu me manger en même temps que leur dépouille. Ensuite, parce qu’à force de ne pas me répondre, j’aurais cru que les murs du salon étaient malades.
Mais maintenant qu’on nous dit que la vie reprend doucement, avec de nouveaux codes, de nouvelles règles, bien qu’avec une impression de déjà vu indéniable, me voilà qui retrouve le silence. Ce silence que j’ai toujours aimé et qui, soudain, avait un bruit d’inhabituel.
Il m’a fallu un peu de temps pour reprendre mes marques. Je dois dire que ce confinement m’a changée. Pas parce que je suis devenue une boulangère en chef, ou que je me suis mise au yoga, ou que j’ai compris qu’on bousillait la planète (pour me remettre à le faire dès le 11 mai). Non. Parce que j’ai rencontré mes parents.
Retour vers le futur, mais en mieux
Je ne vais pas vous mentir, le jour où j’ai compris que j’allais passer 2 mois dans la maison de mon enfance, à devoir caler mon rythme sur celui de mes parents, faire attention de ne pas poser les pieds sur la table basse, trouver l’aspirateur devant ma porte tous les samedis matins à neuf heures, j’ai cherché à peu près toutes les excuses possibles pour rentrer chez moi à toute vitesse. Et puis j’ai joué le jeu, parce que finalement, c’était pas si mal, de retomber en enfance. Bon, ok, il y avait le chien, et ça jouait un peu. Ça et le fait que j’ai compris que c’était peut-être la seule fois, dans ma vie d’adulte, où je serais amenée à passer autant de temps avec mes parents. Et que c’était plus une chance qu’une contrainte, parce que rien n’est fait de promesse d’éternel.
Quand j’étais ado, j’étais tellement occupée à rêver du jour où je partirai, à imaginer les règles dont je déciderai, que j’en ai oublié de regarder les humains derrière les étiquettes « papa » et « maman ». Peut-être que le fait d’avoir 25 ans me donne plus de libertés lorsqu’il s’agit de dire ce que je pense, d’amener des discussions qu’on n’aurait pas osé avoir il y a quelques années, mais ces deux mois ont défilé sans que personne ne s’en rende compte.
J’ai eu la chance de passer du temps avec mon père. Mon papa, il ne parle pas beaucoup, mais il a des yeux qui vous disent tout. Je ne sais pas si c’est un grand timide, ou s’il a juste trop de choses en lui qu’il ne sait pas dans quel ordre les sortir. Je suis partie tôt de la maison, à 18 ans, et on a tous pris l’habitude que ma mère fasse le lien entre nous. Je passe des heures au téléphone avec elle, et il s’installe à côté en tendant l’oreille, en soufflant des « dis lui que » ou « alors ? ». Et quand il n’est pas là, il demande les rapports détaillés. Mais entre nous, on ne s’appelle pas beaucoup. Quelques textos de temps en temps, c’est tout. Passer deux mois à la maison, ça a été la chance de parler de nos lectures, de sortir en garrigue pour promener le chien, de débattre sur le chemin le plus court, le meilleur itinéraire pour une balade, parce qu’on est tous les deux très fiers de notre sens de l’orientation. Ça a été l’occasion de rejouer les blagues que je voyais passer sur Internet, et de le voir pleurer de rire. Ça a été l’entendre me dire, après m’être plaint que je ne voulais pas défaire la cabane que j’avais construit dans ma chambre, « tu n’auras qu’à en faire une plus belle la prochaine fois que tu viendras » et avoir sept ans à nouveau.
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Très touchant cet article!!! pour ma part ,la famille rien de plus cher au monde.....
des bisous REINE MARIE
Merci beaucoup Reine-Marie ! Oui, je pense que quand on est plus jeune on ne se rend pas assez compte de la valeur de ses proches, et en grandissant on comprend que la famille c'est ce qui nous accompagne du premier au dernier jour :)