Le 13 octobre 2016, le roi Bhumibol Adulyadej, régnant sous le nom de Rama IX, est décédé à l’âge de 88 ans. Il n’était pas destiné à régner, mais son frère aîné est décédé (à 20 ans) après seulement quelques mois de règne, suite à un accident par arme à feu qui a eu lieu au palais royal. Un accident très controversé… Ainsi, depuis 1 an la Thaïlande est en deuil. Au début, les autorités prévoyaient d’interdire la vente d’alcool et les évènements festifs pour les 12 mois à venir, mais l’économie du pays étant fondée sur le tourisme, les mesures se sont assouplies, restreignant toute « manifestation de joie » pendant 30 jours. Comme je vous l’expliquais dans mon article sur Bangkok, le corps du roi était depuis exposé dans une salle du palais royal, où seuls les thaïs avaient le droit d’entrer. Le premier week-end d’octobre, les thaïs faisaient déjà la queue sur plusieurs pâtés de maison, tous vêtus de noir, pour pouvoir se recueillir devant le corps une dernière fois avant que celui-ci ne soit préparé pour la crémation.
Le mois d’octobre et son ambiance pesante avant la crémation du roi.
Le mois d’octobre marquant les 1 ans de la mort du roi, les préparatifs en vue de sa crémation se sont intensifiés. Tout d’abord, à Bangkok, les gens faisaient la queue devant le palais royal pour dire adieu au roi, avant que son corps ne soit enlevé en vue de la cérémonie de crémation. Un peu partout, on voyait les thaïs porter une broche noire en signe de deuil. A Chiang Mai, nous avons vu fleurir peu à peu des banquettes de fleurs jaunes. Comme je l’expliquais ici, chaque jour est associé à une couleur, et le roi étant né un lundi, on porte du jaune en son honneur. Entendez par là que des portraits énormes du roi ont été ajoutés un peu partout dans la ville, en plus des portraits de propagande habituels, et que des murets ont été spécialement construits pour accueillir des banquettes. Nous avons remarqué la même chose à Pai, il y a 2 semaines. Ensuite, le 13 octobre, jour anniversaire de la mort de Rama IX, la vente d’alcool n’avait pas lieu, bien que non interdite officiellement, et de nombreux commerces étaient fermés. Les autorités n’avaient pas imposé la fermeture des établissements, mais certains articles de presse témoignent de visites surprises des autorités imposant la fermeture à certains commerces… D’autres thaïs n’ouvraient pas leur boutique de leur propre chef, en signe de respect. A partir du 13 octobre, des drapeaux noirs ont également été accrochés sur les axes principaux de Chiang Mai. Le jour a également été déclaré férié, et ce pour les années à venir. Les drapeaux de tous les services publiques sont également en berne du 15 au 27 octobre. Enfin, du 21 au 29 octobre, les bars ne passent plus de musique, ou à bas volume. La consommation d’alcool se doit d’être tenue dans un cadre très privé, même pour un mariage : cela doit se faire dans un hôtel ou une maison, derrière des portes fermées. Pour ma part, en sortant en boîte vendredi 20, la musique était très basse, le quartier quasiment désert, et une grande banderole expliquait qu’en signe de respect pour le roi, la musique serait jouée à bas volume.
Un deuil observé dans toutes les sphères de notre quotidien.
La crémation du roi donnant lieu à une cérémonie qui dure 5 jours, et le mois d’octobre étant ponctué de nombreux évènements en honneur au roi, beaucoup de sphères sont affectées par ce deuil national. Tout d’abord, le 13 octobre (jour anniversaire de sa mort), aucune publicité n’était autorisée dans les médias, sauf si elle concernait la mort du roi. Pendant tout le mois d’octobre, les sites internet devaient diminuer les couleurs de 40%, afficher le ruban noir du deuil et adopter des teintes grises. Autant vous dire que ça fait drôle de voir Youtube et Google en noir… Quant au site internet Lazada, le Amazon Thaï, sa page d’accueil est, aujourd’hui (26 octobre) entièrement dédiée à la crémation du roi.
Enfin, du 25 au 27 Octobre, aucune publicité ou promotion d’évènement ne peut avoir lieu, sauf si cela concerne directement la crémation du roi. Les choses ne reviendront à la normale que le 30 octobre, bien que le deuil prenne fin le 27, officiellement.
Le 26 octobre, jour de la crémation du roi.
Depuis hier, beaucoup de commerces sont fermés, et certains employés thaïs ne travaillent pas non plus. Le 26 est un jour férié, mais seulement pour 2017, et tout est fermé. Dans la rue, les gens sont vêtus de noir. Même les Tesco et les 7-Eleven ferment à 14h30, jusqu’à 00h, afin que les employés puissent assister à la cérémonie en hommage au roi. Moi qui croyais que les 7-Eleven restaient ouverts même s’il y avait un ouragan… (pour rappel : ce sont des supérettes ouvertes 24h/24, 7j/7). J’ai fait du télétravail le matin, car nous craignions que les routes ne soient fermées. Seules quelques unes le sont, et près de 100 000 personnes sont attendues à Chiang Mai, autour d’une réplique du bûcher funéraire devant laquelle les thaïs pourront se recueillir. En allant au 7-Eleven à midi pour acheter de quoi manger, il y avait beaucoup de monde, tous en noir, et je me suis sentie très bête avec ma combi-short rose et noire. En tant qu’occidentale, je ne me rendais vraiment pas compte de l’ampleur de la chose. Je n’avais pas encore mis le nez dehors et j’ai attrapé les premiers vêtements qui me passaient sous la main pour sortir vite fait, mais je me suis sentie vraiment dévisagée. Du coup, j’ai opté pour une tenue noire au moment de ressortir dans l’après-midi, afin de ne pas manquer de respect. A 9h du matin, on entendait les haut-parleurs, qui annoncent chaque jour les bulletins d’information et diffusent des chants, jusque dans ma résidence, où on ne les entend pas habituellement. A la télévision, aucun autre programme n’est autorisé à être diffusé que la cérémonie de crémation du roi. Beaucoup de gens ne portent pas simplement un t-shirt noir, ils sont vraiment habillés comme s’ils se rendaient à un enterrement. Ma concierge était assise devant la télévision du hall de la résidence, bien habillée en noir, et manifestement affectée comme si elle avait perdu quelqu’un de proche. De manière générale, les thaïs sont vraiment tristes et endeuillés comme s’ils disaient adieu à un membre de leur famille.
Quelques images de la cérémonie
(excusez la qualité, j’ai pris la télé en photo…)
La situation à Bangkok
Dans la semaine, j’ai donc demandé à mon ami Marco, en stage à Bangkok, comment il trouvait l’atmosphère. Il m’a décrit une ambiance pesante, avec des vidéos du roi diffusées un peu partout et des films sur sa vie projetés sur les façades des centres commerciaux. Il y a des vidéos et des messages en hommage au roi dans le BTS (métro aérien). Les gens sont tous habillés en noir depuis déjà quelques temps, les mêmes fleurs jaunes sont plantées un peu partout. Depuis 1 mois, les bars diffusent beaucoup de jazz/blues, car le roi aimait cette musique et jouait lui-même du saxophone.
Le genre de vidéo que l’on peut voir dans l’avion ou au cinéma
Ces vidéos ne sont pas de moi. Au cinéma, surtout, il serait très mal vu d’être pris en train de filmer… D’ailleurs, les hommages que j’ai pu voir étaient toujours en noir et blanc, mais c’est très similaire et les vidéos sont nombreuses.
La cérémonie de crémation du roi
J’ai donc profité d’être en télétravail pour visionner la cérémonie. Je pense que l’on peut parler de cérémonie en très, très grandes pompes. Avec des chorégraphies militaires cadrées au millimètre près, un défilé très solennel et, surtout, un bûcher funéraire impressionnant. La cérémonie a coûté 90 millions de dollars… Un pavillon de 164 pieds de haut abritant le bûcher a été construit, d’après des représentations bouddhistes. L’urne funéraire a quitté le palais royal vers 9h du matin, puis a été transportée sur un chariot utilisé depuis le 18e siècle, qui ne fait pas moins de 14 tonnes et qui a dû être tiré par 200 soldats. C’est le fils du roi, le roi Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun, censé être couronné d’ici peu, qui doit mettre le feu au bûcher, après toute une journée de cérémonie. L’action était prévue pour 22 heures mais, à 23 heures, nous sommes toujours dans l’attente… Les cendres seront transportées demain, vendredi 27 octobre, au Grand Palais et au Temple du Bouddha d’Emeraude.
Un documentaire mis en ligne hier :
La cérémonie de crémation du roi de Thaïlande, de mon point de vue de petite Farang
Clairement, c’est une page de l’histoire qui se tourne avec cet évènement. Il est étrange de voir tout un peuple se mobiliser de la sorte pour la mort d’un dirigeant, surtout un an après. J’ai du mal à imaginer la même chose en France… D’ailleurs, avec mon impair de la combishort rose en allant faire une course à la supérette du coin, j’ai bien senti dans le regard de certains thaïs que ce n’était pas respectueux. C’est pourquoi je me suis empressée de me changer. Avec toute la propagande, les posters démesurés dans la rue, les spots sur la vie du roi, les haut-parleur qui diffusent des chants régulièrement, les hommages au roi diffusés au cinéma, les drapeaux en berne, les sites internets qui ne proposent plus qu’un dégradé de gris… Eh bien on se sent impliqué dans l’évènement, même quand on est français. C’est fort, la propagande, pas vrai ? On parle tout de même d’un roi qui a gouverné 70 ans et qui a fait beaucoup pour son pays. Cela explique la dévotion des thaïs, mais la propagande garde un rôle important. Parfois, je suis dans la rue et j’ai l’impression de revivre certaines scènes de mon roman, La Brèche. En soit, ce que je trouve gênant, c’est que l’on se situe dans un pays pauvre, où il n’y a même pas d’eau potable au robinet, et que 90 millions d’euros sont dépensés pour cette cérémonie. C’est également étrange de voir les thaïs pleurer, comme s’il s’agissait d’un membre de leur famille car, encore une fois, en tant qu’occidentale j’ai beaucoup de mal à imaginer que cela se produise pour l’un de nos dirigeants. Sauf pour l’Angleterre, bien sûr. D’ailleurs, en rentrant du travail j’ai vu qu’un des restaurants où nous avons l’habitude d’aller était ouvert. Nous sommes donc allées y manger, avec une copine, car absolument tout était fermé et que nous n’avons pas de cuisine. Un écran avait été installé pour que nous puissions suivre la cérémonie en direct (aussi en direct sur Youtube). En partant, un des serveurs qui est habitué à discuter avec nous a pointé l’écran du doigt et nous a demandé si nous avions un peu suivi les évènements. Je lui ai explique qué oui, j’avais suivi de près, et que je trouvais fascinant de voir combien le peuple thaï est affecté et de tous les moyens mis en place pour la cérémonie. Je lui ai aussi expliqué qu’en France, et même en Europe, il nous semblait impossible d’envisager le même scénario, ce qui l’a beaucoup surpris. Quand je lui ai dit que seule l’Angleterre pourrait connaître une situation similaire, il m’a répondu qu’il était content de savoir qu’une telle manifestation pourrait aussi avoir lieu en Europe. Mais c’était clairement le choc des cultures quand nous comparions nos visions de la classe politique. C’est pourquoi se trouver dans un tel pays, à une telle période de son histoire, est extrêmement enrichissant.
A partir du 27 octobre, les choses commenceront à revenir à la normale. Les commerces rouvriront et les tous les membres du service public (officiers gouvernementaux, professeurs…) pourront revêtir leurs uniformes habituels.
C’est une chose de voir la cérémonie à la télé, mais cela doit être très spécial de le vivre, même pour une touriste. Tu vie des choses inoubliables ! Merci de nous faire partager toutes tes aventures
C’est sûr, mais il faut avoir la foi de faire la queue pendant 2 jours et de rester sous la pluie.
Le Roi est mort ! Vive le Roi !!! Article fort instructif, merci la Miss !! 😉
J’ai hésité à mettre cette phrase en titre… Merci pour tes petits mots ! À bientôt 🙂
Surprenant !
Quel choc des cultures !
C’est sûr que ça n’a rien à voir avec la France…
Ma première réaction a été , comme toi , de penser que ces 90 millions auraient pu être dépensé pour améliorer la vie des Thaïlandais ; mais il est vrai qu ‘il a fait beaucoup pour son pays et ces célébrations fastueuses , outre qu’ elles sont une coutume , sont une manière de le remercier .
J ‘ai ensuite revu ce petit roi tout jeune et sa si jolie épouse passer devant chez moi , il y a une soixantaine d’ années . En visite en Belgique , il était passé par mon village en voiture découverte , avec escorte devant , escorte derrière , sans doute pour se rendre au château royal dans les Ardennes . Nous étions à la fenêtre à l’ étage pour bien voir : ce n’ est pas tous les jours que passe un roi de Siam ( à l’ époque ) !
Tu as beaucoup de chance de vivre un tel événement , même si c’ est à la télé .
Bisous . Françoise
C’est ça. Comme je le dis, je relate de mon point de vue d’occidentale, mais je n’ai aucun droit de juger et je n’ai, d’ailleurs, pas d’avis tranché là-dessus. C’est certain que c’est une somme colossale, mais chaque peuple a ses coutumes et les thaïs étaient vraiment attachés à leur roi, qu’ils appelaient d’ailleurs « father » (père).
Ça a dû être quelque chose de voir passer un tel cortège !
je corrige : auraient pu être dépensés
C’est impressionnant. Ton article me laisse un peu sans voix, je ne sais pas trop quoi en penser. Je n’arrive pas à comprendre cette situation. En Belgique, lors de la dernière mort d’un roi, il paraît que le pays était triste, mais la vie continuait. J’ai beaucoup de mal à imaginer ça ici aussi. Même en Angleterre, car la famille royale est aimée, mais ça semble tout de même bien différent. La propagande est impressionnante, rien que le deuil national d’un an m’avait choqué à l’époque. Sans parler du prix de la cérémonie … Comme tu le dis, le pays est pauvre et beaucoup de gens sont vraiment dans le besoin mais tout le monde trouve ça normal et accepte qu’une somme astronomique soit utlisée pour l’enterrement du roi. Je pense que si ça devait arriver en Belgique, la population se souleverait.
En effet, en tant qu’occidentaux c’est très surprenant. Toutefois, il faut garder à l’esprit que le roi a fait vraiment beaucoup pour le pays et que le peuple y est vraiment très attaché. Je ne suis pas sûre qu’il y aurait de telles manifestations pour un autre roi (il y en aurait, mais à moindre échelle).
Après, bien entendu, la propagande reste un sujet sensible. Quand on va au cinéma et qu’il faut se lever pour le chant du roi, avec un mini film sur lui, c’est déconcertant. Mais cela reste un pays qui m’a accueillie, je n’ai pas de jugement à porter sur sa culture…